13 septembre 2017
Carnet / Suite du billet (Du primo-romancier et du spermatozoïde)
(Première partie à lire ici)
La notion de premier roman est assez récente dans l’histoire de la littérature, elle date de ce que j’appellerais l’industrialisation de la production de fiction plus ou moins littéraire, c’est-à-dire de l’époque à laquelle les éditeurs qui sont aussi et surtout des entrepreneurs ont assumé leurs statuts de producteur et de commerçant avec les charges et les contraintes que cela implique. Ils ont donc des produits à vendre à un public le plus large possible. Aussi choquant que cela puisse paraître, ces produits sont non seulement des livres mais aussi leurs auteurs. L’édition étant une entreprise, elle est soumise à la première règle du monde marchand, l’expansion ou la disparition.
L’émission littéraire Apostrophes programmée à une heure de grande écoute à la télévision entre 1975 et 1990 a entériné ce constat. Ce programme était devenu si puissamment prescripteur auprès du grand public que les éditeurs jouaient des coudes pour y envoyer leurs auteurs. Les effets de leurs prestations sur le plateau se mesuraient très vite dans les jours suivant la diffusion en termes de ventes en librairie, ce qui entraîna une banalisation de la notion de best-seller installant durablement dans l’esprit du grand public l’idée qu’un livre au succès commercial restreint ou moyen illustrait l’échec de son auteur.
Il est pourtant logique qu’en littérature, la norme ne soit pas le best-seller qui n’est quant à lui qu’un accident, même si certains éditeurs se targuent d’essayer, par les voies du marketing, de fabriquer artificiellement des romans et des romanciers à très grosses ventes.
J’irai même plus loin (mais ce n’est qu’une opinion personnelle) en affirmant qu’une œuvre littéraire n’a pas pour vocation première une grande diffusion. Sa vocation première est d’exister, même pour très peu de lecteurs. J’aime citer Borges à ce propos : Je n'écris pas pour une petite élite dont je n'ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu'on surnomme la masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères aux démagogues. J'écris pour moi, pour mes amis, et pour adoucir le cours du temps. Certes Borges a-t-il beaucoup de lecteurs mais il ne s’en préoccupait guère de son vivant.
C’est dans ce contexte qu’un primo-romancier doit aujourd’hui se positionner selon son âge, sa situation professionnelle, ses revenus, son mode vie, son éventuel plan de carrière, le public auquel il souhaite s’adresser et les bénéfices (financiers ou autres) auxquels il estime pouvoir ou vouloir prétendre.
Avant l’apparition des sites internet, des blogs, des réseaux sociaux et des structures d’impression, de diffusion et de distribution à la demande, l’audience d’un auteur dépendait exclusivement des maisons d’éditions et de la presse. Hors ces passages obligés pour très peu d’élus, aucune chance d’atteindre un public, même confidentiel.
Parallèlement, il y eut bien l’effervescence de ce qu’on appelle encore aujourd’hui la petite édition ou l’édition alternative mais on sait maintenant qu’en raison des contraintes économiques de cette activité et de la masse de manuscrits reçus, le fonctionnement de ces modestes structures ne diffère pas beaucoup de celui des grandes maisons dont elles prétendent se démarquer. Je n’évoquerai pas ici l’édition à compte d’auteur qui n’est pas de l’édition et l’auto-édition, démarche radicalement différente qui, à titre exceptionnel, peut s’avérer positive pour un auteur mais pose de nombreux problèmes.
La situation a radicalement changé grâce aux nouveaux outils de publication et de diffusion habituellement désignés par le terme numérique. De plus en plus d’auteurs y ont recours, y compris ceux qui sont déjà en contrat avec des éditeurs classiques. Certains d’entre eux cherchent même à récupérer leurs droits pour bénéficier de ces nouvelles opportunités techniques. Si ces dernières ne sont en aucun cas à considérer comme des solutions miracles en faveur de la lente conquête d’un début d’autonomie pour les auteurs, elles ont au moins l’avantage de leur offrir des alternatives à une condition de plus en plus problématique, notamment en ce qui concerne les primo-romanciers.
Pendant longtemps, dans l’environnement de l’édition classique, si la publication d’un premier roman n’était pas d’un grand bénéfice financier pour l’auteur, elle pouvait générer un profit en terme de notoriété grâce aux actions de promotion engagées par l’éditeur, notamment dans la presse. Cela pouvait constituer un premier jalon vers un espoir de succès. En échange, l’auteur cédait ses droits et se retrouvait souvent engagé de manière très contraignante, surtout avec les clauses de contrat qu’on appelle clauses de préférence qui s’appliquent aux livres non encore écrits succédant au premier roman.
Ce système est gagnant / gagnant lorsque le succès est au rendez-vous mais dans le cas contraire, il constitue un piège redoutable pour l’auteur qui peut ainsi se retrouver prisonnier de ses engagements en faveur d’un éditeur qui ne s’occupe plus de lui. J’ai moi-même vécu une variante de cette situation absurde en publiant un essai. Je n’avais heureusement pas de clause de préférence dans mon contrat.
Depuis pas mal d’années, l’influence des médias traditionnels sur le choix des lecteurs diminue, notamment celle de la presse écrite. Il fut un temps où un article dans la presse quotidienne régionale, y compris dans les rubriques locales, pouvait susciter des ventes. C’est d’autant moins le cas aujourd’hui que dans ces journaux, on estime que la promotion d’un livre relève désormais du service publicitaire et non du service rédactionnel. Ce travers ne s’est encore pas généralisé à la presse nationale mais les suppléments littéraires des grands quotidiens n’offrent plus les mêmes perspectives qu’à l’époque où un auteur bénéficiant grâce à son éditeur d’un article dans ces supports pouvait en mesurer concrètement l’influence.
Si ces temps sont révolus, si le pouvoir prescripteur de la presse nationale n’est plus garanti même si l’éditeur a un bon réseau auprès des journalistes, quel intérêt l’auteur a-t-il à se lier à une maison d’édition classique par un contrat très contraignant ? La question est désormais posée. Certes, le système fonctionne-t-il encore pour les écrivains déjà connus et les best-sellers mais pour la majorité des autres auteurs, en particulier les primo-romanciers, il n’est pas extravagant de commencer à lorgner vers les plateformes d’édition à la demande qui utilisent la puissance de diffusion et de logistique d’Amazon.
Sans doute encore aussi peu assuré d’importants profits financiers dans ce nouvel environnement que dans l’ancien, l’auteur gagne quand même ici en autonomie, en liberté de publication, en capacité de diffusion, en souplesse d’exploitation de ses œuvres et en maîtrise complète du fond et de la forme des livres. Je reviendrai dans un prochain billet sur ces avantages bien concrets.
02:19 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, billet, édition, premier roman, littérature, presse, le figaro littéraire, primo-romancier, rentrée littéraire, spermatozoïde, réussite, blog littéraire de christian cottet-emard
10 septembre 2017
Carnet / Du primo-romancier et du spermatozoïde
Quoi de commun entre un primo-romancier et un spermatozoïde ? Peu de chance de réussite.
Je ne vais pas revenir sur les chiffres de la rentrée littéraire d’automne avec ses centaines de nouveautés dans tous les genres mais plutôt me concentrer sur la situation des premiers romans. Le Figaro littéraire en dénombre quatre-vingts qui paraissent en ce moment. Le journal en a sélectionné dix qu’il désigne comme les coups de cœur de la rédaction. Entre parenthèses, après en avoir lu les présentations, je n’en achèterai pour ma part aucun malgré cet effort de promotion car, une fois de plus, je ne suis pas intéressé par les thèmes abordés. Mais là n’est pas le sujet que je veux aborder aujourd’hui. La vraie question est de savoir comment un auteur peut de nos jours se positionner dans son activité.
Avant d’apporter quelques éléments de réponse, il est utile de dresser un rapide état des lieux.
Sur les quatre-vingts premiers romans que je viens d’évoquer, dix sont donc mis en lumière, ce qui ne leur garantit pas un succès. Les soixante-dix autres ont déjà perdu une des premières batailles de l’exposition médiatique. Parmi eux, quelques-uns seront peut-être promus par d’autres journaux et magazines mais l’expérience montre à chaque rentrée littéraire que la presse fonctionne de manière grégaire. De peur de ne pas être dans le mouvement, dans l’air du temps, chaque titre embraye à peu de variantes près sur le choix des confrères.
En admettant que la presse ait encore une influence sur le choix des lecteurs, ce qui n’est plus du tout évident, on peut en conclure que sur cet arrivage massif de premiers romans en une même période, une minorité aura une petite chance d’être échangée contre monnaie sonnante et trébuchante. Les autres, la majorité, pas forcément pires mais moins ou pas médiatisés, feront un passage éclair dans les librairies (trois mois en version optimiste) et finiront au pilon. Certains ne sortiront même pas des cartons avant de se retrouver en pâte à papier. Pour leurs auteurs, le bilan sera d’autant plus amer que la joie d’avoir signé chez un éditeur en vue aura été vive, grosse d’espérance et d’impatience car entre la signature du contrat et la publication, le primo-romancier doit affronter les affres d’une attente fébrile d’au moins une année.
Passée la courte excitation de la réception des épreuves, des exemplaires d’auteur puis de la sortie officielle du roman, les lois d’airain du commerce, de l’offre (pléthorique) et de la demande (rétrécie) se rappelleront au bon souvenir du primo-romancier.
Si les ventes du roman suffisent à peine à rembourser la mise de fond de l’éditeur, le livre sera considéré comme un échec et son auteur aura peu d’espoir de connaître les délices d’une autre rentrée littéraire. Le seul qui n’aura pas perdu gros dans l’affaire sera le lecteur qui pourra toujours trouver l’infortuné premier roman à prix cassé chez Gibert ou chez Noz. Il pourra même arriver à l’auteur qui est aussi un lecteur susceptible d’être client de ces enseignes de tomber sur un de ses propres livres dédicacé !
Tout ça pour ça ! entendis-je s’écrier un jour une de mes connaissances, l’une des innombrables victimes de cette désillusion certes attendue mais à laquelle on se refuse de croire tant qu’elle ne s’est pas matérialisée sous la forme de cette hydre qu’est la réalité.
À ce stade de sa mésaventure, on pourrait penser que le primo-romancier avorté pourrait se consoler en proposant son œuvre à d’autres maisons et lui donner ainsi une seconde chance. Ce serait oublier qu’il a cédé ses droits et que ce n’est pas parce que son éditeur n’exploite plus commercialement le livre qu’il en restitue la propriété à l’auteur.
L’histoire que je viens de résumer à gros traits est représentative de la condition actuelle de l’auteur dans un système éditorial devenu fou et souvent à bout de souffle. Il importe donc qu’un auteur se pose désormais un certain nombre de questions. Pour qui et pourquoi écrit-il ? Qu’attend-il de cette activité ? Quelle est sa place dans l’édition ? Veut-il reprendre la main sur la promotion, la diffusion et la distribution de son œuvre ? Il existe des réponses techniques à ces questions. J’en parlerai dans un prochain billet parce que ce soir, je tombe de sommeil.
02:16 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : carnet, note, billet, édition, premier roman, littérature, presse, le figaro littéraire, primo-romancier, rentrée littéraire, spermatozoïde, réussite, blog littéraire de christian cottet-emard
18 septembre 2016
Carnet / Camões, Pessoa, García Márquez, bibliothèque purgée, livres d’occasion et comportement d’achat.
Plus je lis et relis les Lusiades de Luís Vaz de Camões publiées en 1572 et Message de Fernando Pessoa sorti en 1934, plus je mesure la puissance du lien entre ces deux épopées. Ces deux œuvres débordent largement du cadre national portugais. Pour le lecteur moyen du 21ème siècle que je suis, elles irriguent ma réflexion sur la renaissance de l’idéal occidental que j’appelle de mes vœux. À plus de trois siècles et demie de distance, les Lusiades et Message sont des balises, des repères dans ce cheminement vers le nécessaire renouveau de l’Occident.
En comparaison de ces deux chefs-d’œuvre, tout ce que je lis en littérature récente me paraît bien fade. Quant à ce qu’on appelle la rentrée littéraire, cela m’évoque un sentiment d’étrangeté et de découragement qui m’est venu en purgeant ce qui me fait office de bibliothèque, une vieille armoire bressane et des rayonnages relégués dans une pièce annexe de la maison. J’ai en effet réalisé, en remplissant des colis destinés aux entrepôts de la librairie Gibert, que depuis des années, je n’ai pas lu une seule des nouveautés que la presse et l’édition industrielles cherchent à nous fourguer à coups de plus en plus vains de promotion et de publicité massives.
Lorsqu’une de ces nouveautés me passe parfois sous les yeux, elle n’en est plus une puisque je l’ai acquise en édition de poche. Parmi ces livres de tous genres, certains, très peu, m’ont au mieux distrait ou vaguement diverti, ce qui est déjà beaucoup, mais je n’en garde qu’un souvenir flou. J’ajoute que j’ai souvent acheté ces ouvrages en occasion chez Gibert voire dans des dépôts-vente où l’on trouve des fripes, des vieux meubles, des bibelots et de la vaisselle.
En trois ans de lecture, à l’exception de mes livres de chevets auxquels je reviens toujours, les seuls que je conserve depuis des années en rayon, toujours à portée de main, un seul titre m’a donné le frisson de la très grande littérature. Il s’agit des Douze contes vagabonds de Gabriel García Márquez (Grasset), un recueil de nouvelles imprimé en mars 1993 et provenant d’un dépôt-vente, que m’a prêté mon ami artiste plasticien et auteur Jacki Maréchal.
J’étais ennuyé et légèrement honteux d’avoir été incapable, malgré plusieurs tentatives à plusieurs années de distance, d’apprécier et même de lire jusqu’au bout ce que l’on considère habituellement comme le chef-d’œuvre de García Márquez, Cent ans de solitude, beaucoup trop touffu, proliférant et grouillant de personnages à mon goût pour que je puisse m’en imprégner. Après une autre tentative infructueuse avec un grand roman plus classique, L’amour au temps du choléra dont j’avais aimé l’adaptation au cinéma, j’avais la désagréable impression de manquer quelque chose, d’être exclu d’une fête, ce qui m’a dans un second temps conduit à chercher du côté des textes courts du grand écrivain colombien, notamment le délicieux Mémoire de mes putains tristes. Mais c’est vraiment avec les Douze contes vagabonds que j’ai enfin pu accéder au grand art littéraire de García Márquez.
Comme d’habitude lorsque je lis de la littérature romanesque, j’adhère assez peu aux histoires mais essentiellement au style, à la capacité unique d’un écrivain doté d’une vision n’appartenant qu’à lui d’évoquer un univers en quelques phrases voire en quelques mots ainsi qu’on peut le mesurer dans ce formidable instantané : La mer réapparut au bout du labyrinthe de ruelles : neuf mots pour confronter deux espaces qui résument la moitié du monde !
Et après la perspective, le mouvement : En sortant de l’auberge, la señora Prudencia Linero eut devant elle une autre ville. Elle s’étonna de la lumière du soleil à neuf heure du soir, et prit peur en voyant la multitude braillarde qui avait envahi les rues pour profiter du bien-être de la brise nouvelle. Elle se demandait comment il était possible de vivre au milieu des pétarades des Vespa en folie, conduites par des hommes torse nu avec, assises à califourchon sur le porte-bagages, des filles magnifiques accrochées à leur taille, et qui se frayaient un chemin en bondissant et en louvoyant entre les jambons suspendus et les étals de pastèques (extrait de Dix-sept Anglais empoisonnés).
Après de telles fulgurances, se risquer dans l’écrasante majorité des ouvrages mis en avant à grand renfort de marketing et de matraquage publicitaire lors de chaque rentrée littéraire française revient à parcourir l’annuaire des abonnés au téléphone dans la salle d’attente d’une gare de sous-préfecture ! En réalité, la vraie question est de savoir combien de temps ce système éditorial qui a connu son apogée dans les années soixante-dix du vingtième siècle va tenir.
Dans l’accélération de ce processus consistant à fabriquer artificiellement du best-seller dans l’espoir de continuer le plus longtemps possible à faire du chiffre, la littérature s’achemine vers la survie dans une économie de niche, l’un des symptômes les plus évidents de cette évolution étant l’explosion de l’auto-édition. Cette pratique qui ne concernait récemment que les refusés des grands groupes d’édition s’étend désormais aux auteurs de moyens et petits tirages dont la tendance actuelle est de se voir priés par leurs éditeurs (pour ceux qui en ont encore un) d’accepter d’être payés en considération distinguée ou de bien vouloir prendre la porte. À l’évidence, nous entrons dans un autre monde.
Sur ce sujet, la plupart des analyses se focalisent sur les éditeurs et les auteurs. On aurait cependant tort d’oublier que dans ce processus, ce seront les lecteurs et leurs nouveaux comportements de lecture et d’achat de livres qui auront le dernier mot. N’étant probablement pas le seul à ne plus tenir compte des prescriptions de la presse littéraire en matière de nouveautés, à choisir en majorité les éditions de poche et à privilégier l’approvisionnement en livres anciens et d’occasion, de surcroît souvent hors du circuit des librairies, je crois m’inscrire en tant que lecteur dans une tendance lourde qui se fait déjà ressentir dans toute la chaîne de l’économie du livre.
02:05 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : carnet, note, journal, écriture de soi, autobiographie, lecture, littérature, édition, christian cottet-emard, bibliothèque, achat de livres, librairie, blog littéraire de christian cottet-emard, librairie gibert, dépôt-vente, livre d'occasion, livre ancien, luís vaz de camões, gabriel garcía márquez, fernando pessoa, éditions de la différence, éditions grasset, message, cent ans de solitude, l'amour au temps du choléra, espagne, portugal, occident, édition de poche, livre de poche, livre de chevet, rentrée littéraire, lusiades, épopée